Le premier ministre Jean Castex a rencontré, mercredi 16 septembre, une délégation du Conseil français du culte musulman (CFCM), alors que se prépare une loi contre « les séparatismes ». Il a notamment été question de départementaliser les instances du culte musulman : une idée souvent énoncée, mais pas aisée à mettre en place.
Recueilli par Mélinée Le Priol,
le 18/09/2020 à 09:36
« Le premier ministre s’est montré très favorable à la création des Conseils départementaux du culte musulman (CDCM) qui permettront davantage de proximité avec les acteurs du terrain et une meilleure gestion de dossiers de culte avec les préfectures, les mairies et les départements. »
Laïcité : vers une loi contre « les séparatismes »
Ce n’est pas sans satisfaction que le Conseil français du culte musulman (CFCM) a annoncé, dans un communiqué publié mercredi 16 septembre au soir, que la rencontre de ses représentants avec le premier ministre, Jean Castex, plus tôt dans la journée, avait semblé ouvrir la voie à une possible départementalisation de ses instances. Cette rencontre officielle s’inscrivait dans la préparation d’une loi contre les « séparatismes », qui devrait être présentée au parlement cet automne.
« Le CFCM doit regagner la confiance des musulmans de France »
L’actuel président du CFCM, Mohammed Moussaoui, élu en janvier 2020, appelle cette départementalisation de ses vœux depuis plusieurs années. En mai 2018, celui qui était alors président de l’Union des mosquées de France (UMF), une fédération proche du Maroc, avait présenté à la presse ses propositions « pour l’organisation et le financement du culte musulman ». Parmi les pistes les plus innovantes figurait donc celle d’une départementalisation plus poussée, sur le modèle des diocèses dans l’Église catholique.
La demande d’une plus grande proximité avec le terrain s’était ensuite invitée aux assises territoriales de l’islam de France, organisées dans les préfectures il y a tout juste deux ans, en septembre 2018. Puis, en décembre suivant, le CFCM réuni en congrès, s’était engagé à « viser davantage de proximité à travers la création des Conseils départementaux du culte musulman ». Mais la mesure n’a jamais été mise en place.
Un intermédiaire entre le local et le national
De quoi s’agit-il au juste ? Dans les faits, les questions du culte musulman sont souvent traitées au plus près du terrain (organisation des fêtes religieuses, suivi des actes de radicalisation, atteintes aux lieux de culte, etc.). Or l’échelon aujourd’hui privilégié est la région, à travers les 25 conseils régionaux du culte musulman (CRCM). La région Île-de-France, elle, est couverte par trois CRCM différents : centre (Paris et la petite couronne), ouest (Yvelines et Val-d’Oise) et est (Essonne et Seine-et-Marne).
Vers la fin de « l’islam consulaire »
De l’avis de la plupart des acteurs, les CRCM sont incapables de répondre aux attentes des musulmans de France et constituent « l’échelon de trop », au sein d’un CFCM souvent assimilé à une « usine à gaz ». « Mais il faut tout de même un échelon intermédiaire entre le local et le national, et le département s’y prête bien : à ce niveau, on retrouve toutes les représentations de l’État, notamment les préfets, tout en restant proche des réalités du terrain », estime Abdelaziz El Jaouhari.
Président de la mosquée de Mantes-la-Ville, il préside également le Centre d’étude et d’initiatives musulmanes des Yvelines (Ceimy). Comme dans les Yvelines, plusieurs responsables musulmans se sont ainsi organisés, avant même la création d’éventuels CDCM, au niveau départemental.
Ne pas « multiplier les couches »
« Nous n’avons pas attendu le CFCM, ni l’État, pour mettre cela en place dans le Rhône ! » confirme ainsi Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon. « Nous avons pris cette initiative il y a deux ans, et cela fonctionne : les mosquées du département travaillent ensemble, et mutualisent leurs efforts. » Pour lui, le principal est que « la légitimité vienne du bas, et pas du haut ». C’est aussi valable pour les élections du CFCM, souvent accusées d’être « téléguidées » par les principales fédérations et non par les mosquées de la base.
« Il ne faut pas croire que c’est au CFCM que se joue l’avenir de l’islam de France »
Mais justement, la départementalisation ne risque-t-elle pas de compliquer encore plus les élections de l’instance ? « C’est un risque », acquiesce Bernard Godard, spécialiste de l’islam. « Il faudra désigner des électeurs au sein des cent CDCM, mais comment rendre le vote représentatif, alors que l’Ardèche ou la Vendée ne comptent quasiment pas de mosquées ? »
Autre question d’importance : qu’adviendra-t-il des CRCM, si les CDCM sont bien créés ? « Ce n’est pas en multipliant les couches que l’on réglera le problème », observe Abdelaziz El Jaouhari. Pour lui, si l’idée d’une départementalisation est pertinente, les modalités de mise en place seront déterminantes. « Il doit y avoir des garde-fous, notamment sur la question du cumul, pour certains représentants qui se retrouveraient dans plusieurs instances à la fois. Et il faudra aussi éviter que les CDCM soient accaparés par les grandes fédérations. Ce système n’aura d’intérêt que s’il représente vraiment les mosquées de base. »
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